L’excellence de deux fontaines à Montreux

De l’eau alca­line coule dans deux fontaines de Mon­treux. De nom­breux habi­tants de Vernex et de Ter­ritet y font la queue pour rem­plir leurs bidons ou s’y abreuver. Enquête sur ce cadeau de la nature.

Descen­dez depuis Bel­mont vers le quai 3 de la gare de Mon­treux par la rue de la Cité et vous risquez bien de voir un attroupe­ment autour de la fontaine de Vernex. En effet, de deux goulots coulent de l’eau alca­line de très bonne qual­ité. Elle se déverse dans l’un de ses qua­tre bassins à une tem­péra­ture de 11,2 degrés. « De l’eau alca­line ? Et alors », rica­nent les affi­ciona­dos des bouteilles plas­tique des célèbres mar­ques ven­dues en super­marché ! Ils ne savent pas ce qu’ils ratent : une eau que l’on trou­ve rarement en mag­a­sin, ou alors à un prix élevé. Car celle de Vernex est analysée régulière­ment et affiche un taux pH alcalin de 7.9 ; naturelle­ment, sans ajout comme le pra­tiquent de nom­breux indus­triels d’eaux minérales. De l’eau aux ver­tus cura­tives recon­nues, au-delà de 7, seuil de qual­ité, avec encore à Vernex, une grande richesse en sels minéraux. (lire encadré)

Source inconnue

D’où vient-elle donc cette eau aux valeurs cura­tives recon­nues ? De quelle source ? Très peu de monde le sait. Le SIGE (Ser­vice inter­com­mu­nal de ges­tion de l’eau sur la Riv­iera) analyse bien la qual­ité de l’eau des sources mais ignore tout de leur orig­ine. Et le Ser­vice tech­nique de la com­mune de Mon­treux non plus, lui qui chargé d’administrer des rayons ultra­vi­o­lets à l’eau potable pour la débar­rass­er d’éventuelles bactéries.

Le Gou­verneur du Vil­lage de Vernex, Yves Lau­rent Kun­dert, très fier, a levé une par­tie du mys­tère. Prési­dent de l’association dont ne font par­tie que les pro­prié­taires immo­biliers de Vernex, il nous a ouvert les archives de la fontaine, pro­priété du Vil­lage. « Elle jail­lit d’une source des hauts du pic du Cubly, à 1188 mètres, sur les hauts de Mon­treux d’où une con­duite souter­raine l’amène au bassin d’eau alca­line. Mais on ne sait pas d’où vient la source. Peut-être de la région des Paccots… »

Yves Lau­rent Kun­dert sort alors un livre d’archives, Autre­fois Mon­treux s’appelait Vernex. On y apprend que la fontaine est très anci­enne. Lorsqu’un vio­lent orage s’est abat­tu sur Sonzi­er le 7 novem­bre 1888, un réser­voir d’eau mal con­stru­it n’a pas résisté et les flots ont tué sept per­son­nes, détru­isant la fontaine de Vernex. Des débris, on a décou­vert qu’elle datait de 1675 !

Des assoiffés de tous âges

Sur place, nous voyons défil­er un monde très diver­si­fié, de tous âges, davan­tage des hommes que des femmes. Une maman et son gros sac rem­plie de bouteilles vides, un jeune cycliste qui vient rem­plir son bidon, un vieux mon­sieur respectable et ses bouteilles en verre blanc. « J’habite à dix min­utes de là et je viens à la fontaine chaque après-midi à pied, quand il n’y a pas trop de monde. »

Le chef de la pizze­ria voi­sine de la fontaine, Kil­lian Ahu­ma­da, vient juste­ment chercher de l’eau pour son piz­zaio­lo. « Il utilise l’eau de Vernex pour con­fec­tion­ner la pâte de nos piz­zas. On voit la dif­férence », sourit-il gen­ti­ment, très con­tent de pou­voir installer des tables autour du pré­cieux bassin. Il salut chaleureuse­ment cha­cun comme s’il était client de son restau­rant. « Je recon­nais vite les habitués qui emmè­nent jusqu’à 20 litres chez eux. Ça m’amuse de voir ce pas­sage con­tin­uel, même à trois heures du matin, quand je bois encore un verre avec des amis à côté du bassin. »

Une fontaine mystérieuse à Territet

Une sec­onde fontaine offre de l’eau alca­line à Mon­treux, à la rue du Bon-Port, qua­si­ment en face de l’eau Excel­sior. Dis­crète, accrochée aux soubasse­ments de la voie de chemin de fer du Sim­plon, son débit d’eau est bien plus abon­dant qu’à Vernex. Et pour­tant peu de monde vient s’y apprivois­er mal­gré la qual­ité de sa source, de qual­ité sem­blable à celle de Vernex, assure Eric Giroud, le directeur du SIGE. 

L’accès malaisé à la Fontaine à L’Ours à Ter­ritet, de plein pied avec la chaussée encom­brée de voitures en sta­tion­nement, n’est pas aus­si attrayant qu’à Vernex. A l’époque, on plaçait des fontaines sur les “grandes routes”, d’abord pour abreuver les chevaux, ensuite pour refroidir les moteurs à explo­sion des voitures automobiles.

Cette fontaine, plus récente que celle de Vernex, sem­ble dater de 1865, à lire la date de sa con­struc­tion, à côté de l’inscription dif­fi­cile­ment lis­i­ble au fron­ton du bassin. « Jésus dit : Venez à moi vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous soulagerai, Matt. xi. 28 » 

Mais pourquoi ce nom de Fontaine à L’Ours ? D’où vient ce nom ? Des anciens occu­pants bernois du Pays de Vaud ? Nul ne peut le dire. Ni de quelle source vient cette abon­dante eau alcaline. 

Eau de source en Vieille Ville

Par con­tre, les pro­fes­sion­nels de la dis­tri­b­u­tion d’eau con­nais­sent bien la source de Mar­al­ley en Vieille Ville de Mon­treux. Rac­cordée au réseau, elle est dis­tribuée dans les 500 foy­ers d’une cen­taine de bâti­ments. De bonne qual­ité, cette eau venant d’une source jail­lis­sant der­rière l’église St Vin­cent subit un traite­ment au chlore par mesure de sécu­rité. On peut bien sûr la recueil­lir dans l’une des 11 fontaines du quarti­er, mais les ama­teurs d’eau de source sont plutôt ten­tés d’aller chercher de l’eau alca­line à Vernex ou à la fontaine de l’Ours.

L’eau alcaline, qu’est-ce que c’est ?

Avec un taux pH de 7,9, sur une échelle de 0 à 14, l’eau de source de Vernex et de Ter­ritet n’est pas acide, comme le sont les eaux au pH inférieur à 7, mais alca­line. Cette pro­priété cor­rige l’excès d’acidité dans nos tis­sus, ce qui pour­rait prévenir ou invers­er le can­cer, l’arthrite et d’autres mal­adies dégénératives.

Par ailleurs, les analy­ses physi­co-chim­iques menées deux fois/an par le SIGE sur l’eau alca­line des deux fontaines de Vernex et de Ter­ritet con­fir­ment leur minéral­ité supérieure à l’eau ordi­naire de nos robi­nets sur la Riv­iera. Elles sont naturelle­ment rich­es de pré­cieux sels minéraux (cal­ci­um, sodi­um, mag­ne­sium, potas­si­um), par­ti­c­ulière­ment recom­mandés pour traiter les maux de l’appareil diges­tif, le foie et les reins.

Mais atten­tion ! Les bien­faits de l’eau alca­line sont quelque peu con­tro­ver­sés. De nom­breux pro­fes­sion­nels de la san­té affir­ment qu’il n’y a pas assez de recherch­es sci­en­tifiques pour con­firmer leur util­ité pour notre san­té. En tout cas, elle ne fait de mal à personne. 

Commercialisation de l’eau de Vernex

L’eau de Vernex a été com­mer­cial­isée à par­tir de 1881, sans empêch­er pas­sants, citadins et curistes de venir en con­som­mer libre­ment. La Société des Eaux minérales alca­lines de Mon­treux avait obtenu une con­ces­sion pour utilis­er la moitié de l’eau de la fontaine. En dix ans, sa pro­duc­tion n’a cessé d’augmenter pour attein­dre plus de 147’000 bouteilles en 1891. Le Mon­treux-Palace voisin la ser­vait aux clients dès 1910 ! Et elle était même envoyée dans les grands hôtels d’Angleterre.

Après 1945 et la 2^ème guerre mon­di­ale, la Société eut de la peine face à la con­cur­rence d’eaux étrangères. Et la dis­tinc­tion AOP (appel­la­tion d’origine con­trôlée) n’existait pas encore. La com­mer­cial­i­sa­tion dura tout de même jusque dans les années 1980 avec le sou­tien des eaux d’Henniez. Mais le débit trop faible de la source con­damna son exploita­tion commerciale.