L’ancien crack de snowboard sait très bien allier l’art et la glisse avec la spiritualité. Portrait d’un artiste qui les associe pour trouver son équilibre.
Au cœur des pistes de Villars, à Bretaye, Nicolas Vaudroz, sourire aux lèvres, nous a accueilli l’hiver dernier d’une franche poignée de main. Je saute à ses côtés à bord d’un ratrak, cet engin imposant que l’on voit en fin de journée sur les pistes de ski. L’ancien champion de snowboard, 44 ans, le manie habilement. Il adoucit une bosse de la piste de ski et de boarder-cross spécialement préparée pour les Jeux olympiques de la jeunesse.
La machine nous secoue d’avant en arrière, au gré d’habiles manœuvres. « Le comité de course a estimé que certains concurrents pourraient sauter trop loin et se faire mal », explique Nicolas Vaudroz, devenu l’un des dix designers mondiaux de ces compétitions inspirées du motocross où se succèdentbosses, courbes relevées ou tremplins. Sur ce terrain, ce maître de la glisse a retrouvé ses sensations d’artiste-peintre.
L’union corps-esprit
Chez lui à Leysin, il se confie, raconte sa recherche spirituelle, une aspiration à unir expression corporelle et création artistique, très loin de l’esprit de compétition. Retiré des courses, le maître vaudois du snowboard balance aujourd’hui entre la peinture dans son atelier de Leysin et en hiver, le design de pistes de cross pour des courses européennes ou mondiales.
« Aménager une descente pour les champions de cross, c’est sculpter la neige dans les mouvements naturels du terrain, de gauche à droite et de haut en bas », raconte Nicolas Vaudroz. « Une piste, c’est un torrent qui serpente et dévale à travers les contours et obstacles de la montagne. Dans ce flot naturel, je me laisse guider par le terrain. J’intensifie les mouvements naturels afin de créer les éléments indispensables à un parcours de compétition. Et je veille à économiser la neige. Aux concurrents alors d’exprimer leur technicité alpine et de réaliser une performance de freestyle. »
Nicolas Vaudroz se fait pensif. « Pour moi, la compétition est saine tant qu’elle permet de s’améliorer, d’apprendre, d’évoluer, autant pour soi-même que pour le bien commun. Si domine l’envie d’être au-dessus des autres, notre ego peut provoquer des mécanismes destructeurs. »
« Je me bats avec la nature, pas contre »
Ancien cascadeur de pistes vertigineuses, il se rappelle l’état d’esprit des compétiteurs au départ du célèbre Bec des Rosses à Verbier. « C’était l’humilité de chacun face au danger. La confrontation avec l’autre pousse à nous dépasser. Mais l’essentiel est de rester en vie et dès lors, on est davantage centré sur soi-même que sur les autres. La compétition se déroule en soi, avec la Nature et pas contre. Et en bas, on est heureux de se retrouver, pleins d’adrénaline, en vie, pour célébrer cette Vie ; tous ensemble. »
Avec malice, il raconte qu’adolescent déjà, il n’aimait pas la compétition, « cette pression pour slalomer autour des piquets. Je les distinguais mal avec mes grosses lunettes de myope, mal ajustées. » Nicolas Vaudroz se souvient bien du jour de la rupture avec cet esprit de la course. « Installé dans le groupe de tête près de l’arrivée d’une course de ski de fond, je m’étais arrêté à 100 mètres de la ligne ; et j’avais regardé passer les concurrents devant moi. Mon père (ndlr : René Vaudroz, l’entraîneur mythique de l’équipe féminine suisse des années 80 – 90) avait bien compris que je n’aurais jamais l’esprit de compétition. »
Foi d’artiste
C’est alors qu’il rencontre un Américain pratiquant le snowboard sur les pistes de Leysin dans les corniches ou reliefs accrochées à la montagne. « Il venait des îles Hawaï et surfait depuis l’enfance sur les vagues de l’océan pacifique. Il tentait de faire de même dans la neige. J’avais trouvé ma voie. » Les premiers pratiquants de snowboard se souviennent des descentes de Nicolas Vaudroz, artiste habile à trouver la belle ligne, audacieuse et efficace à la fois. A côté, il s’est spécialisé dans la conception de snowparcs et l’aménagement de parcours de cross dans la neige. « Très jeune, j’aimais déjà dessiner ; ma manière d’exprimer mes états d’être. »
De sa bibliothèque, il sort à l’un de ses nombreux carnets de notes et de croquis, un ouvrage qui date de ses 20 ans : Au fil des pages, il déroule des dessins soignés, précis, miniatures parfois, abstraits ou symboliques, parsemés de réflexions calligraphiées. « Ce sont des reflets de mon évolution spirituelle, des récits de voyages intérieurs que j’incarne dans la peinture, la sculpture, le dessin, l’écriture. Il m’a toujours paru essentiel de mener cette recherche en moi. »
Nicolas Vaudroz cherche le mot juste avant de se livrer : « Je ne me voyais pas de rôle dans cette société qui dysfonctionne, un monde où il n’y a pas de place pour tout le monde. J’y percevais un objectif illusoire, celui de posséder des richesses matérielles, coupé de nos racines originelles. »
Le sportif à la vocation d’artiste-peintre nous confie alors son projet de vie : « L’énergie émise par ma pensée, mes paroles, mes peintures, crée une réaction, une énergie lancée dans l’univers. Elle revient sous une autre forme, de qualité identique. Demandez et vous recevrez, ou plutôt donnez et vous recevrez. »
Un artiste qui écoute
Dans la maison familiale de Leysin, à côté de la grande table ronde de la cuisine, son fils Taho, 3 ans, s’amuse tranquillement. « J’aime passer du temps à jouer avec lui. Une petite goutte d’eau, une toute petite action, peut avoir un grand impact sur notre monde. Ne dit-on pas qu’un battement d’aile de papillon peut déclencher une tornade ? »
Taho appelle son papa. La discussion s’interrompt. Au-dessus de la porte d’entrée, accroché à l’horizontale, un snowboard nu et brillant a été décoré artistiquement. A gauche, on devine deux pics de montagne, renversés, tendus vers un magma informe. Revenu, l’artiste-peintre Nicolas Vaudroz nous explique le sens de cette œuvre : « A droite, j’ai dessiné une matière pas clairement identifiable, irradiant d’intensité. » Une substance divine ? D’une voix douce et ferme, l’artiste-sportif se fait plus précis : « Si elle est invitée à intervenir, cette substance favorisera la rencontre de ces deux pics, qui représentent la dualité de notre monde – masculin-féminin, matière-esprit, branche-racine. » Taho a faim. Il est temps de laisser Nicolas Vaudroz cuisiner, avec dans les yeux l’image d’un jeune sage plein de foi dans l’Homme.