La Libanaise Maria Zufferey soutient des familles oubliées par l’Etat avec ses amis suisses. Avec la détermination de dépasser les clivages entre musulmans et chrétiens.
Le sourire chaleureux de Maria Zufferey-El Matni et sa passion pour raconter la détresse de son peuple ne laissent pas deviner combien elle reste bouleversée par la tragédie que vit son pays. Mère d’une jeune adolescente à Lausanne, Maria a été touchée à vif, en automne 2019, par la crise financière qui a commencé à ébranler son pays. La livre libanaise fut massivement dévaluée quelques semaines avant que le pays soit touché par la Covid. Au-delà des cercles corrompus du pouvoir, toutes les couches de la société se sont massivement appauvries, et les plus pauvres souffrent de la faim depuis le printemps.
Soutenir les plus miséreux
« Être chrétien, c’est se dépasser et agir vers les pauvres, les oubliés de la société », confie-t-elle avec force. Et par les réseaux sociaux, elle a fait connaissance du mouvement Maän (Ensemble), groupe de jeunes Libanais solidaires des miséreux. « Ils se donnent depuis quatre ans auprès des plus pauvres parmi les démunis de Beyrouth et de localités de tout le pays. » (Voir encadré.)
Maria Zufferey s’est vite sentie très proche d’eux, cette vingtaine de jeunes musulmans et chrétiens encadrés par un éducateur du nord du pays. « Ils agissent depuis quatre ans dans un total anonymat, recherchant les familles oubliées de tous pour apporter aide alimentaire et médicaments. Ils disent aux musulmans qu’ils sont soutenus par des chrétiens libanais, et inversement. Ce sont des personnages atypiques, au-delà de tout cliché et intérêt personnel, avec une manière d’être qui nous donne un message politique : La solidarité entre déshérités permettra de sortir du confessionnalisme, un cancer qui est en train d’anéantir notre pays. »
Émigrée à 18 ans
Lorsqu’elle raconte sa vie depuis qu’elle a émigré au début des années 1990, on la sent toujours concernée, solidaire avec les habitants de la terre de ses ancêtres. « J’ai quitté mon pays, seule, à 18 ans, pour étudier la théologie et la psychologie à Rome et Florence, raconte la professeure de culture religieuse qui a aujourd’hui intégré la direction élargie du collège privé de Champittet à Pully (VD). »
Pourquoi s’en aller alors que la guerre civile venait de s’achever ? « Je ne trouvais pas mes repères. J’avais 3 ans quand est survenu le premier massacre dans mon village, Damour en 1976. J’ai grandi dans la guerre civile. Il y avait comme une barrière entre nous et le monde extérieur, infranchissable ; et malgré mes espoirs, rien n’évoluait. Je suis alors partie ; pour mon propre salut. Car on ne sort pas indemne de la guerre. »
Grandir dans le bénévolat
La jeune femme, à cheval sur les cultures orientale et occidentale, vit alors à 100 à l’heure en Italie. Elle associe études, bénévolat dans une prison de Rome ainsi qu’au Centre d’aide de la gare et pour financer ses études, elle est présentatrice dans une grande maison de mode. Quand elle rejoint Genève en 1997, elle s’engage dans l’aviation privée et les voyages de luxe mais c’est à Caritas qu’elle grandit professionnellement dans l’encadrement des bénévoles. De l’action solidaire, elle passe à l’accompagnement des étudiants de l’EPFL avant de prendre des responsabilités dans son collège lausannois.
« Je dois énormément à la Suisse, mais je respire au diapason du Liban. Je me sens appelée à consolider des ponts entre les cultures dont je suis imprégnée. » Car Maria s’efforce depuis toute jeune d’établir des liens entre personnes aux croyances différentes. « Mon éducation, mes parents, m’ont appris à valoriser le vivre-ensemble avec tous en particulier, les musulmans. J’ai un profond respect pour leur religion. Le poète mystique d’origine persane Rûmi, m’inspire depuis longtemps. N’a-t-il pas écrit, Les religions peuvent amener à l’amour, mais l’amour n’a pas de religion. »
Grandir dans le bénévolat
Maria garde encore en mémoire sa première rencontre au Liban avec Sœur Emmanuelle. Adolescente, elle raconte avec émotion la religieuse qui se dévouait corps et âme avec de jeunes Français, pour soutenir des familles libanaises et palestiniennes dans le besoin. « Nous nous sommes retrouvés quinze ans plus tard à Genève, lorsqu’elle s’exprimait devant des centaines de jeunes sur sa vie dans les bidonvilles du Caire. A la fin, je me suis approchée d’elle, lui ai rappelé notre première rencontre et elle m’a simplement dit : Et toi, que fais-tu pour les autres ? »
Par les réseaux sociaux, Maria est en lien aujourd’hui avec plus de 150 personnes de milieux différents, aussi bien chrétiens que musulmans. « Mes amis libanais rencontrés en Suisse et revenus au Liban en quittant des situations enviables, m’ont alors implorée de les aider à retrouver un emploi. J’ai essayé de les raisonner, de rester au pays ; et puis j’ai entendu leurs souhaits. J’ai donc écrit pour eux. » Ce n’était pas assez pour la Libano-suisse. Proche du mouvement Maän depuis une année, elle y a associé ses amis suisses, solidaires de son combat patriotique : soutenir les miséreux parmi les plus pauvres de son pays, musulmans et chrétiens, et donner un message de fraternité interconfessionnelle.
Des Suisses généreux pour des familles brisées par la faim
L’été dernier, Maria Zufferey s’est adressée personnellement à une quinzaine d’amis suisses pour soutenir l’action du mouvement Maän. « C’était deux semaines avant la gigantesque explosion du port de Beyrouth et mes contacts libanais étaient en pleine action alimentaire. Ils ont immédiatement répondu à mon appel. Très vite, j’ai déjà pu transférer plus de 1500 francs de mes donateurs. C’est la Suisse que j’aime, humble, sérieuse, généreuse. »
Cet argent a financé des sacs d’aliments de base auprès de familles rigoureusement sélectionnées par des duos de jeunes. « Ils sont confrontés à des situations émotionnellement très fortes. C’est par exemple rester pendant vingt minutes auprès d’une maman musulmane en pleurs n’en revenant pas de recevoir un colis. » Maria essuie une larme. « C’est très dur pour nos bénévoles de devoir trier entre des gens dans leur misère. Ils affrontent des familles en lutte pour survivre. Dans l’extrême pauvreté, c’est le règne de la jungle. On repart insatisfait, humble. »
Que faire de plus ? « D’abord accepter de ne pas porter davantage que ce que l’on peut. » Maria Zufferey murit le projet de créer une association de soutien libano-suisse.
Pour soutenir le mouvement Maän, contacter maria.zufferey@icloud.com