Les apprentis se forment en quatre ans depuis 2014. Une année de plus nécessaire pour maîtriser un métier de plus en plus complexe.
On résume souvent le métier de charpentier à ses acrobaties sur des toits pentus. Et pourtant, les charpentes de bois ne couvrent plus très souvent nos maisons. Aujourd’hui, les nouveaux venus dans le métier sont formés pour concevoir et monter des structures en atelier et les installer ensuite sur les chantiers de construction. Un travail rigoureux qui demande de nouvelles compétences, très diverses, depuis une vingtaine d’années.
« Il faut bien savoir planifier les travaux, concevoir et fabriquer de gros éléments avec différentes essences de bois et des matériaux composites. L’ouvrage du charpentier doit encore intégrer des qualités d’isolation thermique et sonore », précise Marc Morandi, secrétaire patronal chargé des métiers de la construction pour le canton de Vaud.
Dans les années 1990, l’apprenti charpentier était formé en trois ans pour des travaux isolés les uns des autres : structure en bois du bâtiment, toiture, planchers, combles, escaliers, chalet. L’évolution du métier de charpentier vers des ensembles d’éléments assemblés, des constructions en ossature, a rendu nécessaire l’augmentation du temps d’apprentissage, comme pour les menuisiers-ébénistes.
Des divergences entre Alémaniques et Romands ont ralenti le changement. Les seconds, souvent à la tête d’entreprises artisanales, demandaient un approfondissement des connaissances alors que leurs confrères suisses alémaniques insistaient pour les augmenter avec les nouvelles exigences écologiques. Finalement, l’ordonnance fédérale du 1er janvier 2014 a davantage mis l’accent sur les compétences opérationnelles et la conception d’ossatures en bois, avec moins de dessin de charpentes à l’échelle 1:1.
Formation globale et appliquée
On est ainsi passé d’un enseignement abstrait à une formation globale et appliquée qui intègre les nouveaux paramètres des constructions contemporaines. « L’apprenti doit d’abord se familiariser avec la meilleure manière de combiner diverses essences de bois à des produits synthétiques pour bien isoler les bâtiments », explique Sandro Melchior, formateur des charpentiers à l’École de la construction à Tolochenaz. Car aujourd’hui, les ossatures préfabriquées intègrent des normes écologiques et d’isolation thermique et sonore.
Intégré dans les éléments porteurs des bâtiments, le bois a des avantages par rapport à la maçonnerie traditionnelle. Les murs respirent mieux et sont moins épais de 20 cm. Pour les façades, des couches protectrices intégrant du bois résistent bien à l’usure du temps. Reste encore à maîtriser les techniques de pose. « Il faut donc être précis en atelier pour que le montage soit tip-top et vite exécuté », confient les formateurs. Et pour y arriver, le charpentier doit aujourd’hui savoir maîtriser la coordination des diverses tâches et opérations de construction.
La journée hebdomadaire d’enseignement théorique et pratique a donc été fondamentalement modifiée. L’assimilation des cours de base – mathématiques, dessin et technologie – est suivie d’exercices pratiques en atelier. « Nous n’enseignons plus de façon abstraite pour passer plus tard à des tentatives de mise en application, précise Sandro Melchior. Désormais, les apprentis exercent la résolution de problèmes concrets de façon globale. »
Apprendre à démolir
De même, pour bien comprendre comment démolir des bâtiments, on leur enseigne une introduction de la statique physique des constructions avant d’exercer un démontage sans risques des divers éléments. Et ils apprennent à trier les matériaux pour leur recyclage. Enfin, la sécurité est un maître-mot pour les charpentiers : protection individuelle ; utilisation sécurisée des machines, tronçonneuses et robots ; manipulation des engins de transport et de levage.
Ce nouveau programme est aujourd’hui indispensable pour maîtriser un métier devenu complexe. Un charpentier est souvent seul pour résoudre des problèmes multiples. De petites mains n’y ont plus leur place. Faut-il être bon en géométrie ? Les enseignants interrogés observent que leurs apprentis, très motivés pour la plupart, se débrouillent bien. « Certains qui se disaient nuls en maths à l’école se découvrent soudain à l’aise pour résoudre des problèmes concrets. Ils ont soif de connaître le métier, ils nous en redemandent », sourit l’enseignant.
Près d’une cinquantaine d’apprentis-charpentiers ont décroché leur CFC en formation duale l’été dernier à Tolochenaz. De son côté, le Centre de formation professionnelle pour la construction (CFPC) au Grand-Lancy (GE) n’en forme qu’une demi-douzaine en moyenne chaque année. Ils sont un peu plus nombreux à décrocher le CFC de menuisier ou d’ébéniste dans les deux cantons.
Charpentiers peu visibles à Genève
La structure urbaine du canton de Genève n’est pas favorable aux entreprises de charpente. « La mentalité citadine, qui oriente plutôt les jeunes vers de longues études, rend notre métier peu attrayant, constate Alban Lalou, enseignant professionnel auprès des apprentis genevois de 2e, 3e et de 4e année. Et à Genève, faute de grandes maisons travaillant le bois, nous sommes invisibles auprès des jeunes. » Lui-même patron d’une petite entreprise, il observe par ailleurs que la région genevoise emploie des charpentiers au parcours de formation très diversifié quand ils viennent de France. « Et pour nous à Genève, un apprenti charpentier nous revient cher. En quatrième année, avec le salaire convenu par la CCT, il nous coûte autant qu’un jeune ouvrier qualifié. »
Cette formation insuffisante d’apprentis ne concerne-t-elle que le canton du bout du lac ? Les formateurs vaudois et genevois reconnaissent manquer de charpentiers bien formés en Suisse romande. « Le canton de Vaud pourrait facilement offrir plus de 70 places d’apprentissage par année et nous pourrions sans difficulté en former une vingtaine de plus », estime Marc Morandi, de la Fédération vaudoise des entrepreneurs. Aujourd’hui, les entreprises font donc appel à des frontaliers français, souvent moins bien formés que chez nous avec leur CAP obtenu en deux ans. Néanmoins, la profession a toujours besoin d’offrir des places d’apprentissage, car les charpentiers, usés physiquement à partir de 45 ans, se recyclent dans des activités moins exigeantes.
Les apprentis genevois ont-ils un avenir dans leur charpenterie artisanale ? « C’est un défi à relever, reconnaît Alban Lalou. Nous sommes à un tournant, appelés à collaborer avec des entreprises plus grandes en Suisse. Chez nous, le travail ne manque pas : je pense aux rénovations des toitures, à l’isolation des maisons, aux surélévations d’immeubles d’un à deux étages. »
En effet, le bois, plus léger que la maçonnerie, permet des travaux vite exécutés et ne menace pas la structure des bâtisses. Les formateurs en sont convaincus. Le métier de charpentier devient un métier d’avenir.
« Un métier exigeant »
Un apprenti vaudois de 4e année nous explique pourquoi il s’est lancé dans la formation de charpentier. Antoine Mariller, 21 ans, a commencé le gymnase avant de vite quitter les bancs d’école. « Je ne voulais plus rester assis à écouter ce que l’on me disait. J’ai fait des stages dans le métal, mais c’est avec le bois que j’ai découvert une matière vivante, noble et chaleureuse que j’avais envie de travailler. Charpentier, c’est un métier exigeant, avec des maths et du dessin en 3D qui demande un travail de réflexion et une bonne vision de l’espace. »
Chez son patron à Arnex-sur-Orbe, il apprécie que son employeur lui demande de se débrouiller seul pour certaines tâches. Ne craint-il pas l’engagement physique indispensable sur le terrain ? « Oui, c’est parfois difficile avec la météo, le poids des matériaux et la nécessité de se déplacer en l’air. » Mais le jeune homme a de l’ambition. Après le CFC, il réfléchit à une prolongation des études à l’École du bois, à Bienne, pour une formation d’ingénieur HES. « J’aime beaucoup ce métier de charpentier et je veux encore mieux connaître les nouvelles technologies de construction avec le bois. C’est une voie bien utile pour exercer ensuite des responsabilités dans une entreprise de charpente. »
Les profs innovent à Genève
Depuis la rentrée, Alban Lalou, enseignant professionnel auprès des apprentis genevois de 2e, 3e et de 4e année au Centre de formation professionnelle pour la construction (CFPC) au Grand-Lancy (GE), se réjouit de remplacer le professeur titulaire, parti à la retraite à la fin de la dernière année scolaire. « Nous serons quatre collègues, des petits patrons aux personnalités complémentaires, âgés de 25 à 50 ans, à nous partager l’enseignement du métier auprès des apprentis. »
Marc Lehmann, doyen de l’École du Grand-Lancy pour les métiers du bois, se félicite de cette nouvelle manière de faire. Tous les quatre enseignent toutes les branches du métier à travers une thématique propre aux charpentiers, par exemple l’isolation thermique. « La diversité des enseignants, leurs expériences du métier, c’est une richesse pour les élèves. Leur enseignement polyvalent est prometteur ; il associe expérience et jeunesse », se réjouit-il.