L’ancien président de la Loterie Romande est heureux d’être en famille à plein temps. Aujourd’hui, il jette un regard indulgent sur les jeux d’argent et un autre, très aiguisé, sur la politique jurassienne.
Jean-Pierre Beuret nous ouvre la porte de sa maison de Saignelégier dans les Franches-Montagnes avec un beau sourire, la moustache frémissante de joie de vivre. A 72 ans, ce personnage de la vie politique jurassienne est heureux de vivre paisiblement avec son épouse et le chien du clan familial. « C’est l’animal d’un de nos quatre enfants ; il est en vacances chez nous. » Homme public pendant plus de cinquante ans, il raconte spontanément ce qui lui tient d’abord à cœur, sa famille et ses douze petits-enfants. « Ils apprécient tous de passer quelques jours chez nous. »
La vie publique ne manque-t-elle donc pas à cette figure du canton du Jura ? « Il existe deux types d’anciennes personnalités publiques : celles qui recherchent encore la visibilité médiatique et celles qui tournent la page, une fois leur mission accomplie. Vous le devinez – NDLR, notre interlocuteur a hésité à se confier à générations – je fais partie de la seconde catégorie. » Il privilégie aujourd’hui la complicité avec son épouse Eliane, qui l’a activement soutenu dans tous ses engagements publics.
« Nous aimons bien rouler ensemble à vélo, effectuer de longues randonnées, jouer au tennis et aussi réaliser des projets pratiques. En ce moment, nous rénovons la forge du dernier maréchal-ferrant de Saignelégier. » Tous les deux issus de familles paysannes et ayant d’abord exploité ensemble un domaine agricole, ils aiment la terre, le bétail et les chevaux. Aujourd’hui, le Jurassien garde encore un mandat public avec la Fondation de la Halle du Marché-concours qui gère les infrastructures du cette fête du cheval franc-montagnard.
On peine donc à imaginer l’ancien président de la Loterie Romande – il l’a été de 1995 à 2017 – en passionné des jeux d’argent. « Je ne suis pas du tout joueur ; plutôt un organisateur. Comme plus de la moitié des gens dans le monde jouent avec leur argent, mieux vaut ne pas interdire, mais plutôt encadrer ces activités au profit du bien public. Sur ce point, la Loterie Romande est exemplaire depuis sa création en 1937. » L’institution est en effet dévolue au bien commun. Elle soutient des initiatives culturelles sociales et sportives romandes et finance les milieux qui aide à prévenir les addictions aux jeux d’argent.
En tant que ministre jurassien de l’Economie, Jean-Pierre Beuret avait bien compris la mission de la LoRo, joli sobriquet entendu dans le milieu. « Les missions exercées au sein de Conférences intercantonales m’ont familiarisé à de multiples dossiers, dont celui relatif aux jeux d’argent. Et quand, en décembre 1994, un nouveau président de la Loterie Romande devait être élu, on m’a sollicité pour ce mandat. » Ça tombait opportunément, car après une vingtaine d’années de mandats électifs – l’Assemblée constituante et quatre législatures gouvernementales – il avait averti ses proches et son mouvement politique, le Parti chrétien-social indépendant, qu’il ne serait plus candidat nulle part.
Jeune retraité de la politique
Le ministre jurassien n’avait que 47 ans ! Avec une carrure d’homme d’Etat qui ne s’en laisse pas compter, tout en restant proche des gens, ancré dans son terroir. « Je suis d’origine paysanne, j’apprécie l’intelligence des gens de la terre et leur pragmatisme naturel. » Il en fallait du sens pratique quand il a été l’un des cinq magistrats élus à la tête du nouveau canton du Jura. Ils ne disposaient pas d’infrastructure administrative à leurs débuts en 1978. Ils téléphonaient par exemple depuis des cabines publiques, alors qu’ils avaient à choisir des cadres administratifs. Et pour l’homme politique chargé de vivifier les entreprises du nouveau Canton, le principal défi portait sur le remplacement des emplois perdus en raison de la crise horlogère. Cette industrie de l’arc jurassien est alors passée de 90’000 à 20’000 travailleurs en quelques années.
« Heureusement, entre les cinq membres du Gouvernement, nous nous entendions bien et collaborions dans un esprit de grande confiance mutuelle. » Ministre de l’Economie, Jean-Pierre Beuret avait aussi la responsabilité de l’agriculture jurassienne. « Je me suis beaucoup engagé pour mener à bien les indispensables améliorations foncières et soutenir la modernisation de l’agriculture. Comme ancien paysan, on ne pouvait me raconter d’histoires. Dans le secteur secondaire, je réunissais périodiquement les partenaires sociaux des entreprises jurassiennes. Ce n’était pas facile avec les leaders syndicaux de l’époque, inspirés par des desseins de grand soir… »
« La paix des braves du 25 mars 1994 »
La dernière année de sa carrière politique a été marqué par un acte symbolique marquant pour le Jurassien : signer, en qualité de président du Gouvernement jurassien, l’accord du 25 mars 1994 avec le président de l’Exécutif bernois et le conseiller fédéral Arnold Koller. « Nous donnions naissance à l’Assemblée interjurassienne » destinée à réunir des populations séparées. Son visage s’anime alors. « Cette initiative s’apparentait à la paix des braves pour favoriser les esprits créatifs et aboutir à un processus de rapprochement de l’Etat du Jura et du Jura-sud en vue de résoudre globalement la Question jurassienne. Si ce processus devait échouer, il était convenu que Moutier et sa périphérie pourraient, par la voie des urnes, rejoindre l’Etat du Jura. Ce plébiscite a eu lieu le 18 juin 2017. Depuis lors, le camp bernois a échafaudé une mascarade contraire à l’esprit de l’accord signé en 1994, pour saboter, par des procédés quasi-coloniaux, la volonté démocratiquement exprimée. Je vis ces derniers événements comme une trahison de la parole donnée ! »
Jean-Pierre Beuret n’est peut-être pas une personnalité aussi lisse et consensuelle que l’on s’imaginerait. « Je suis un patriote. Ma carrière politique s’appuie sur mon engagement de jeunesse, celui de résistant contre le projet de place d’armes fédérale au cœur des Franches-Montagnes. »
Ce premier combat l’a naturellement conduit à prendre des responsabilités dans le mouvement jurassien de libération. « C’est en effet dans ce cadre que j’ai grandi culturellement, humainement et politiquement. » Il est vrai qu’un professeur de français remarquable avait encouragé le jeune militant à écrire et à s’exprimer. « J’ai commencé modestement par la rédaction de communiqués de lutte. » Un long chemin qui a révélé ses aptitudes de leader. On connait la suite, jusqu’à une retraite active, loin des feux de la rampe. « Nous restons paysans dans l’âme », sourit-il à son épouse qui vient de rentrer d’une partie de tennis.