Cerné par la neige jusqu’en juin, l’établissement peut héberger plus d’une centaine d’hôtes. Des voyageurs de tous horizons, des sportifs ou des croyants en quête de moments de recueillement.
Le prieur de l’Hospice du Grand-Saint-Bernard, Jean-Michel Lonfat, nous a rejoints dans le vaste parking à ciel ouvert à l’entrée du tunnel. C’est là que l’on chausse les skis pour monter. Des traces nous guident sur la route du col couverte d’un manteau neigeux très épais. C’est quasi une piste de fond que nous suivons sur quelques centaines de mètres avant de nous en éloigner.
Petit à petit, le parcours se durcit. Attentionné, le prieur se retourne. Car se rendre à l’Hospice du Grand-Saint-Bernard en hiver et au printemps, c’est consentir à un effort soutenu ; celui de la montée sur de la neige de qualité irrégulière. Pour un skieur un peu entraîné, c’est une heure et demie de grimpe plutôt facile ; et à raquettes, trois ou quatre fois plus.
« L’effort nous allège le corps et l’esprit. Déjà avant de partir, on doit sacrifier du superflu quand on remplit son sac. La méditation, la louange face à la beauté des sommets, en est facilitée. Pour moi, c’est un moment idéal pour la prière. Je suis alors en lien avec le monde d’En Haut et son Créateur », confie Jean-Michel Lonfat lors d’une pause.
À l’arrivée à l’hospice, le lien se noue très vite entre chacun, considéré comme hôte plutôt que touriste. On fraternise sans chichis avec l’équipe de bénévoles, de civilistes, de trois ou quatre professionnels et des quatre religieux qui tiennent la maison. « Bienvenue », lance le Frère Frédéric, proposant une tasse de thé à tous ceux qui franchissent le seuil de l’hospice, décontractés, guillerets ou très fatigués. « Qui que tu sois, on t’accueille avec tes joies, tes peines, tes espoirs et tes échecs », précise-t-on dans l’église de la communauté, accolée au bâtiment principal, le navire amiral de l’hospice.
Une maison conviviale et très pro
Dans la très vaste bâtisse qui fait office d’hôtel-restaurant pour les hôtes et de monastère pour les quatre religieux de l’hospice, on se perd vite dans les dédales des couloirs. On y croise parfois la discrète lingère-couturière. Elle assure l’entretien des vêtements de la vingtaine de personnes à demeure dans l’hospice et veille au remplacement du linge dans les chambres et dortoirs. « Je travaille toujours tranquillement mais dans l’urgence », sourit Viviane, qui nous confie sa devise : « tout faire par amour, rien par force. »
Qui sont ces visiteurs séjournant quelques heures ou plusieurs jours ? Des sportifs à la quête de sommets ; des touristes à raquettes admirant un site somptueux ; des croyants à la recherche d’une dimension spirituelle à partager sur place ; enfin des catholiques venus pour la messe du dimanche à 10 h 30. Ils viennent essentiellement de Suisse romande, de France et de Belgique ; un peu d’Italie, des mondes anglo-saxon et germanique.
Depuis 1050, chaque jour de l’année, promeneurs, pèlerins, clandestins ou croyants sont reçus au sommet du Grand-Saint-Bernard, 2469 mètres, dans la seule communauté religieuse établie si haut en permanence en Europe ; une halte alpine à la fois sobre, soignée et confortable.
Le sommet du col, c’est aussi la frontière avec le val d’Aoste, bien connu des chanoines du Grand-Saint-Bernard, qui y entretiennent des liens ancestraux. Un lieu d’échanges matériels et spirituels entre les promeneurs et ceux qui les accueillent. « Ils trouvent chez nous un havre de fraternité inconditionnelle, en fidélité avec notre devise. Ici le Christ est adoré et nourri », explique le prieur.
Et que leur offrent ces voyageurs aux origines cosmopolites, aux destins souvent étonnants et aux croyances des plus hétéroclites ? « Ces touristes nous font l’honneur d’offrir un peu de leur temps de vacances pour nous rencontrer », répond Cristina, intendante de l’hospice, citant l’ancien prieur José Mittaz. « Par la prière, je m’efforce de dépasser mes préjugés pour découvrir en chacun une épaisseur humaine derrière des postures sociales. »
L’écoute de la différence
Les expériences des pèlerins sur le chemin de la Via Francigena – itinéraire menant de la cathédrale de Canterbury à Rome – émerveillent le prieur Jean-Michel Lonfat. « J’aime aussi écouter les guides de montagne, qui se dévoilent lentement et avec pudeur. Ils me touchent en évoquant leur vie difficile et dangereuse dans la montagne. »
Anne-Marie Maillard, laïque consacrée et associée à la communauté de l’hospice pour notamment veiller au danger d’avalanche dans le secteur, résume bien ce qu’apportent ces sportifs de passage : « Des expériences de vie reflétant l’humanité du Christ, avec des souffrances et des joies qui nous sont inconnues, et que nous ne sommes pas invités à expérimenter. Cela élargit le mystère de l’humanité du Ressuscité, et présent dans chacun, avec ses différences. »
Offrant des services hôteliers combinés à de la générosité et à de l’écoute personnelle, les hommes et femmes de l’hospice vivent-ils harmonieusement ensemble ? Comment font-ils, ces salariés, bénévoles et religieux confinés dans un espace réduit pendant sept à huit mois ? « C’est pas trop difficile de vivre ici. C’est plutôt un défi exigeant pour être vraiment relié aux autres, à soi-même et au Seigneur », confie Anne-Marie Maillard.
« Cette vie communautaire à la fois hiérarchique et respectueuse des personnalités permet d’associer travail bien fait et convivialité », se félicite Cristina, femme de décision qui tient la barre de l’hospice aux côtés d’Anne-Marie et de Viviane. « Nous nous adaptons aux circonstances, à la météo, à la fréquentation de l’hospice, aux congés des uns et des autres. Cela demande de la souplesse au quotidien. Nos bénévoles et salariés non croyants en sont épatés, touchés par la cohérence entre nos attentes et nos manières de faire. » Probablement la bonne recette pour fêter le millénaire de l’hospice dans trente-deux ans.
Pratique
Du cinq-étoiles
- Accueil : Limité à 129 hôtes par jour pour privilégier un accueil personnalisé.
- Toilettes publiques : Aussi soignées que dans un grand hôtel, elles sont en libre accès même en été pour les autocaristes. « Certains prennent un café et achètent un souvenir. C’est ça, l’Évangile », dit le prieur.
- Ravitaillement : La consommation de 50 personnes par jour pendant huit mois est livrée avant la fermeture du col pour alimenter les hôtes. Des hélicoptères amènent occasionnellement des produits frais.
Chiens saint-bernard
- L’élevage a été vendu il y a dix ans à la Fondation Barry de Martigny. Les chiens séjournent en été dans le vieux chenil spécialement aménagé à l’hospice.
- Les premiers chiens sont arrivés au XVIIe siècle. Au XIXe, on a découvert leur flair exceptionnel et leurs capacités à secourir des personnes dans la neige ou perdues en montagne. D’autres races de chiens sont aujourd’hui mieux adaptées à ce type de sauvetage.
À savoir
- Réservations : 027 787 12 36.
- Danger d’avalanche : Téléphoner avant de monter à skis ou à raquettes pour connaître le danger d’avalanche.
La laïque consacrée Anne-Marie Maillard offre des conseils aux visiteurs et fait des relevés de la neige chaque matin pour les transmettre à l’Observatoire de Davos.