La vingtaine d’aumôniers catholiques et réformés de l’hôpital lausannois sont disponibles, main dans la main, auprès de tous les patients depuis plus de 20 ans.
Un drame humanitaire, celui du sida qui débute en 1982, ont rapproché les deux aumôneries protestante et catholique, qui avaient jusqu’alors une mission classique de « paroisse » dans l’hôpital. Le décès très rapide au CHUV de dizaines de jeunes hommes et femmes a été un des moteurs de la collaboration étroite entre les aumôneries réformée et catholique. Des infirmières, des amis de jeunes malades révoltés par la perspective de mourir d’ici peu, ont cherché un soutien spirituel auprès de pasteurs et de prêtres. Quelques-uns ont répondu à l’appel et mis, face à ces fins de vie, leurs recettes confessionnelles au second plan, tenant compte de l’évolution de la société, de plus en plus laïque.
Comme l’exprime bien le pasteur Daniel Pétremand, accompagnant spirituel au CHUV depuis 1997, « l’essentiel, que l’on soit aumônier catholique ou protestant, c’est d’accompagner le malade dans ses souffrances, ses révoltes et ses ressources. Nous voulons l’aider à exprimer sa vision spirituelle, à retrouver des forces et une paix intérieure. » L’aumônier réformé se réfère à Jésus s’adressant à un sourd-muet : Ouvre-toi. Autrement dit, il ne s’impose pas, il apporte un soutien dans le dialogue.
Avec les parents d’un enfant mourant, nous n’avons parfois plus grand chose à dire, seulement être là, avec compassion.
« Aujourd’hui, on ne peut parler de spiritualité à un patient sans humanité, et inversément. Avec des parents en train de voir partir leur enfant, on n’a parfois pas grand-chose à dire ; seulement à être là, avec compassion. » Daniel Pétremand confie que cette mission au CHUV l’a transformé : « Il s’agit moins de dire une Parole que de refléter la bienveillance du Créateur. »
Une seule aumônerie depuis 20 ans
Le tournant du siècle a marqué un changement structurel. Dès 2000, aumôniers catholiques et réformés organisent ensemble les gardes au CHUV ; des colloques communs ont eu lieu régulièrement et petit à petit, chaque aumônerie avait de moins en moins de questions spécifiques à discuter. Daniel Pétremand précise : « Nous avons appris à nous faire confiance. Nos racines communes, notre identité chrétienne sont devenues prioritaires dans le dialogue avec des patients aux spiritualités très diverses, parfois sans lien direct avec une religion ».
Au lieu d’aller dans chaque service, les aumôniers réformés et catholiques se sont réparti les étages – pédiatrie, chirurgie, oncologie, gériatrie, etc. A un accompagnant spirituel catholique, l’étage abritant les opérés orthopédiques, à son confrère protestant, celui des soins palliatifs. Et pour tous, la nécessité au préalable, d’établir un lien régulier avec l’équipe de soignants de chaque étage : Médecins et infirmières, à l’écoute de leurs malades, pourront aussi indiquer les personnes pour lesquelles un accompagnant spirituel paraît être important.
Respect des différences
« Nos entretiens quotidiens avec les soignants sont marqués par un très grand respect entre personnes aux engagements très différents », observe l’abbé Dominique Jeannerat, depuis six ans au CHUV. « Il y a dans l’accompagnement spirituel une bonne entente et un partage de responsabilités, que nous soyons homme, femme, catholique ou réformé. Ce n’est pas si évident dans un hôpital qui demeure un lieu de souffrance et de stress. »
Comme ses consœurs et confrères de l’aumônerie, le prêtre se met à disposition de tous les patients. « Nous rejoignons tous ceux qui le demandent, en tenant compte de leur spiritualité, très diverse », observe-t-il. « Les personnes rencontrées sont marquées par des références religieuses souvent détachées du christianisme. Ce qui fait qu’il peut n’y avoir qu’une quinzaine de malades à la célébration du dimanche au CHUV. C’est sans doute assez peu par rapport à Fribourg ou Sion. »
Un constat qui s’explique par l’affaiblissement du rôle de la religion dans la société. C’est pourquoi la visite du pape au Conseil œcuménique des Églises tombe à pic. Elle marque la reconnaissance de spiritualités partagées avec des acteurs aux accents très divers.
La spiritualité, une composante incontournable du soin
La recherche médicale montre depuis longtemps l’importance de cette dimension dans la prise en charge globale de l’ensemble des patients. L’OMS a également intégré la spiritualité dans sa définition de la santé. C’est pourquoi l’hôpital universitaire est également un lieu de définition pour la collaboration entre médecins et accompagnants spirituels.
Co-responsable de la chaire universitaire de soins palliatifs gériatriques, la docteure Eve Rubli Truchard explique son objectif : « Il s’agit de soigner le malade au niveau global et pas seulement biomédical ; et pour cela, le médecin doit se faire aider par d’autres acteurs professionnels, des psychologues, infirmiers, assistants sociaux et aumôniers », précise la membre du Conseil scientifique de la Plate-forme MS3 (Médecine-spiritualité-soins et société) du CHUV.
A la tête de cette démarche, le théologien Etienne Rochat-Meylan affiche sa complicité avec la gériatre du CHUV : « Le patient est une personne avec des besoins spirituels qu’il est important d’intégrer dans le processus de soins. » Eve Rubli Truchard ajoute : « Nous apprenons à travailler ensemble, soignants et aumôniers, à nous parler avec des mots compréhensibles les uns et les autres. Le développement de ce langage commun influence nos pratiques médicales, notre manière de parler au patient et aussi de le soigner. »
Pour Etienne Rochat, les accompagnants spirituels sont appelés à devenir des intervenants encore plus intégrés dans le CHUV, au même titre que d’autres spécialistes. Cela n’entame-t-il pas le rôle des aumôniers ? « Effectivement, cette vision va transforme le rôle de l’aumônier », la gériatre insiste. « Notre projet thérapeutique se construit avec une équipe interdisciplinaire où l’aumônier doit être partie prenante. »
En bref
Financement : Les salaires de la vingtaine d’accompagnants spirituels issus des deux Églises, dont la plupart sont à temps partiel, sont financés par celles-ci. La structure de l’aumônerie est soutenue par le CHUV qui salarie notamment les deux personnes chargées de l’organisation et de la formation.
Composition religieuse : La vingtaine d’aumôniers, le plus souvent réformés ou catholiques, compte parmi eux une pasteure évangélique et une théologienne orthodoxe, et sont pour moitié des théologiens laïcs.