Sophie Ducrey s’est battue pendant quinze ans avec ses parents et amis pour que son agresseur sexuel soit viré par Rome. Démasquer un religieux auprès du Vatican, un sacré défi.
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Jean-Noël1, le supérieur de la douzaine de frères Saint-Jean abuseurs à Genève, est le seul à avoir été « bloqué », selon l’euphémisme de l’évêque du diocèse Charles Morerod. Il a été renvoyé de l’état clérical, une sanction très rare infligée par Rome à un agresseur sexuel.
La Genevoise Sophie Ducrey2 nous a confié comment le maître-abuseur s’y est pris pour la mettre sous sa dépendance. Jeune étudiante de 16 ans en 1989, elle boit les paroles de Jean-Noël et tombe dans ses filets avec sa camarade du collège catholique de Florimont. Il attend deux ans, l’âge de leur majorité, pour s’en prendre sexuellement à elles. L’une décode rapidement son manège, et rompt tout lien avec l’agresseur et sa communauté. Pendant plus de quinze ans, Sophie ne perçoit pas l’emprise spirituelle dont elle sera victime.
Début 2008, elle et sa camarade entament une démarche canonique auprès de l’évêché de Lausanne, Genève et Fribourg. Dans la foulée, elles déposent plainte pénale à Genève. Le procureur général Daniel Zappelli classe la plainte à la fin de l’année pour faits prescrits, ajoutant qu’une infraction avait « bel et bien été commise, à tout le moins ».
Stratégies de séducteur
D’anciens proches de ce personnage charismatique nous ont confié ses tactiques pour séduire, pour se constituer un vivier de proies attrayantes et intellectuellement brillantes. L’ex-religieux français est arrivé en 1988 à Genève. Alors curé de la paroisse et supérieur de la Communauté, il se révèle un personnage charismatique, à l’écoute souriante de ses ouailles. Des victimes et anciennes connaissances de Jean-Noël se rappellent un manipulateur impulsif et borderline. Le portrait psychologique qu’en dressent ceux qui en ont été victimes ou l’ont approché de près est destructeur : « menteur patenté, égocentrique et narcissique – orgueilleux, très fier de lui – détraqué sexuel prêt à tout pour très vite satisfaire ses pulsions. »
Du côté de fidèles de la paroisse de Plainpalais, le ton est à l’indulgence : « Jean-Noël?: Sûr de lui, serviable – Le verbe fluide, la voix doucereuse – Gros nounours affectueux, jovial, bonne pâte – Il prend très facilement les femmes dans ses bras. »
Très bien informées, des victimes, encore impuissantes à le faire condamner en justice, relèvent qu’il bénéficie des relations de sa famille fortunée. Elles évoquent des complicités dans les milieux de la justice française. Pendant quatre ans, une plainte pour des faits non-prescrits de nature criminelle a été instruite auprès de la justice pénale de Bar-le-Duc, domicile officiel de Jean-Noël en Lorraine. La victime est laissée dans l’ignorance. On ne sait rien sur cette procédure judiciaire, confirme l’avocat, qui vient d’apprendre qu’elle a été transférée à Thonon-les-Bains.
Agressif et menaçant
S’attaquer à Jean-Noël n’est pas sans risque. Des témoins adultes nous racontant les agissements pervers de l’ex-religieux français sont encore aujourd’hui réticents à dévoiler leur identité à la presse. Après avoir dévoilé ses agressions sexuelles en 2008 à la justice catholique du diocèse romand, ils ont eu affaire à la justice pénale fribourgeoise en 2011 – 2012. L’avocat canonique de Jean-Noël auprès du Vatican s’était fait alors remettre le dossier d’instruction de l’« official », du juge, du diocèse. L’agresseur a ainsi pu porter plainte contre six témoins à charge contre lui. Sans succès néanmoins puisque la procureure fribourgeoise a signé une ordonnance de classement en 2014.