Renvoyé en 2008 de la paroisse de Plainpalais à Genève pour agressions sexuelles, un ex-prêtre français reste le maître spirituel d’au moins une douzaine de complices abuseurs. Dénoncés, la plupart de ces religieux restent impunis. Enquête.
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L’ÉDITO – L’ex-frère Saint-Jean, décléricalisé depuis deux ans par le Vatican, et toujours déguisé en moine religieux, poursuit encore un ministère pastoral. Il a été observé ces derniers mois à Genève, auprès de rassemblements d’« amis » en France et dans des monastères dissidents de la congrégation Saint-Jean. Avec ses complices « religieux », il poursuit l’œuvre démoniaque de son maître à penser, Marie-Dominique Philippe, dominicain, fondateur des ordres Saint-Jean.
Comme l’enquête le révèle, son disciple sans foi ni loi – il brave l’interdiction de porter désormais l’habit de religieux – dispose de plusieurs cordes à son arc : sa faconde avec les paroissiens et les jeunes, héritée de sa famille de la grande bourgeoisie champenoise ; de l’agressivité envers les dénonciateurs de ses abus, des moyens financiers pour se payer des avocats à la Curie romaine, d’autres sur le plan pénal et une justice française étrangement inactive.
Et puis, les victimes de Jean-Noël1 en ont encore peur, nous a confié Sophie Ducrey. Après quinze ans de procédure, sa détermination à démasquer l’abuseur sexuel a contraint Rome à le sortir de l’état religieux. N’empêche que des témoins craignent encore de s’en prendre à lui. Et l’évêque diocésain peine à dire publiquement, par crainte d’une action judiciaire de Jean-Noël, ce qu’il a entrepris contre ce pervers qui sévit encore à Genève.
Et puis l’évêque de Genève, Lausanne et Fribourg aurait-il un caillou dans sa chaussure ? Il refuse de nous ouvrir les archives de l’Évêché pour vérifier les abus sexuels de Jean-Noël dénoncés par des victimes genevoises à la fin de la décennie 1990 et au début des années 2000. Nous entamons donc une procédure auprès de l’autorité nationale de la protection des données pour le contraindre à la transparence.
Cet esprit cachotier de l’évêque s’explique-t-il par l’absence de procédure canonique menée auprès de son diocèse contre les 14 abuseurs dénoncés par des victimes ou leurs proches ? C’était entre la fin des années 1990 et le début de la décennie 2000. En effet, son prédécesseur, son ami, Mgr Bernard Genoud, dirigeait alors l’Évêché jusqu’à sa mort en 2010 ; un prélat qui a été lui-même un abuseur d’au moins une jeune fille lorsqu’il enseignait la philosophie à des lycéens et lycéennes à Bulle en Suisse. Ces pratiques opaques sur les abus sont courantes dans les évêchés du monde et à Rome, a reconnu la Commission pontificale pour la Protection des mineurs dans un communiqué en novembre dernier.
La nomination en début d’année de sœur Simona Brambilla comme nouvelle préfète du dicastère pour les Instituts de la vie consacrée ne pourrait-elle changer cet esprit de camouflage ? La religieuse italienne ne pourrait-elle enfin créer un organe central d’enquêtes, une Commission sur les abus sexuels commis par des religieux ? Sur l’exemple de la Commission pontificale pour la Protection des mineurs. D’après nos sources à Rome, elle a eu connaissance de plaintes de victimes religieuses d’abus spirituels et sexuels dans les deux ordres dissidents, Maria Stella Mattutina pour les femmes, Verbum Spei pour les hommes.
Reste la grave question du silence assourdissant de l’Ordre Saint-Jean sur les mesures prises contre leurs 72 « coreligionnaires » identifiés comme abuseurs, voire violeurs, dans leur rapport du printemps 2023. Pourquoi refuse-t-il d’être transparent les procédures judiciaires entamées, ou non, contre ses « frères » qu’il a identifié comme abuseurs ?
Et puis, d’anciens religieux ou religieuses abusés ont révélé que des communautés locales officielles de la congrégation Saint-Jean professent encore secrètement de la vénération pour leur fondateur condamné par le Vatican.
Ces ambiguïtés doivent mener à la dissolution de l’ordre, disent anonymement des responsables religieux ayant soutenu des victimes d’abus de leurs confrères et consœurs malfaisants.
- Prénom d’emprunt (identité connue de la rédaction). ↩︎
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