Nommé pour seconder le responsable vaudois de l’Eglise catholique, Philippe Becquart explique comment il compte modifier les rapports d’autorité et la vie des paroisses.
Philippe Becquart a été nommé à la fin de l’été pour devenir l’adjoint de Michel Racloz, responsable vaudois de l’Église catholique. Désigné par l’évêque Charles Morerod, il est chargé de rendre l’Église catholique « synodale », selon le vœu du pape François, c’est-à-dire moins directive et verticale. Sortir d’un schéma hiérarchique prêtre-laïc pour arriver à tisser des liens fraternels entre baptisés, y compris les curés, c’est un vaste programme que ce Français, marié et père de trois enfants, est appelé à relever. Arrivé en Suisse il y a plus de vingt ans, il fait état d’un parcours professionnel atypique.
Avant de rejoindre un monastère, vous avez eu un parcours estudiantin prestigieux : lettres, licence de droit, Sciences po Paris, master de philosophie. Pourquoi avoir renoncé à une carrière prometteuse ?
Je n’ai pas eu de plan de carrière. Je vis dans un élan existentiel, à la recherche de ce qui est beau, vrai, puissant, avide de rencontrer des personnes authentiques, voire excessives. J’ai besoin de cette intensité. Je voulais vivre quelque chose de fort ; et soudain, c’est devenu clairement l’appel à vivre pour Quelqu’un. Je suis passé d’un mode de vie très intello et plutôt superficiel – les grandes écoles, la vie parisienne – à une expérience de dépouillement complet dans une communauté de soutien à des personnes avec un handicap, des écorchés de la vie, d’anciens prisonniers, des alcooliques J’ai voulu me mettre à l’école des plus fragiles, dont le lien privilégié avec le Christ pauvre et serviteur m’a bouleversé. Auprès d’eux, j’ai pu mieux accepter mes propres blessures, mes limites physiques, psychiques Je suis allé ensuite vers la théologie à Fribourg à partir de cette expérience de fragilité.
« Les baptisés ne doivent plus se considérer comme des bénéficiaires passifs, mais comme des partenaires au même titre que les prêtres et les évêques. Ce bouleversement dans la gouvernance exige à la fois beaucoup d’écoute et un peu de passage en force. »
Philippe Becquart, nouvel adjoint du représentant de l’évêque
Après six années comme responsable pour la formation des catholiques vaudois, vous voilà chargé de bouleverser les rapports d’autorité sur le terrain. Comment croire que vous pourrez relever ce défi alors que vous avez été choisi, dans une certaine confidentialité, par des hommes représentant un pouvoir très vertical ?
Cela peut paraître paradoxal d’être nommé « d’en haut » pour mettre en œuvre une organisation plus collégiale et participative au service de la vie « d’en bas ». On pourrait faire le même reproche au pape François, qui a initié ce type de changement au niveau mondial. François veut donner la parole à tous et mène le changement d’une main de fer. Pour dépasser ce paradoxe, comprenez ce que nous voulons : engager un large changement qui ira « de la cave au grenier » et affronter les résistances internes. Les baptisés ne doivent plus se considérer comme des bénéficiaires passifs, mais comme des partenaires au même titre que les prêtres et les évêques. Ce bouleversement dans la gouvernance exige à la fois beaucoup d’écoute et un peu de passage en force. Les changements font peur en remettant en cause ce qu’on a toujours fait.
Cette nouvelle gestion du pouvoir ecclésial, moins cléricale, peut-elle séduire au-delà de la petite minorité de catholiques encore engagée dans la vie paroissiale ?
Nous connaissons une crise générale du vivre-ensemble. On ne supporte plus que quelques-uns décident pour tous les autres, sans comprendre. C’est encore plus vrai dans l’Église, à la suite des scandales à répétition qui lui font perdre toute crédibilité. Ce projet de transformation pastorale veut mettre en place une conduite collégiale et participative à chaque niveau. Vision générale, discernement, mises en œuvre concrètes concernent tous les baptisés. Tout homme et toute femme attirés par le Christ sont les protagonistes et les témoins d’une vie qui s’exprime au sein de communautés à réinventer. Dans les paroisses, les prêtres et agents pastoraux salariés sont ainsi au service de tout le peuple de Dieu et de toute la société, et pas l’inverse.
Comment emmener les prêtres dans ce processus qui met en cause leur statut et leur pouvoir ?
Le processus est gagnant-gagnant. Ce que les prêtres perdront en pouvoir, ils le gagneront en autorité, en vérité, en disponibilité. L’Église du XXIe siècle n’a pas mission de défendre un statut social pour ses prêtres, mais une cohérence radicale dans le témoignage et le service.
Quelles responsabilités pour les femmes dans cette vision de l’Église ?
Les prêtres savent la place centrale des femmes dans la vie des paroisses. Leur niveau de responsabilités, pour l’heure, n’est pas significatif parce que le pouvoir est encore pour une large part lié au sacerdoce. C’est un marqueur de l’identité atholique qui doit être questionné pour « séparer le bon grain de l’ivraie ». Les femmes sont le présent et l’avenir de l’Église.