Pour un skieur de randonnée accompli, traverser l’Engadine dans la neige entre 2000 et 3000 mètres, c’est le rêve. Une semaine qu’ont partagé sept membres du Club alpin à Pâques dernier. Deux femmes et le chef de course racontent.
« Pendant sept jours, nous étions entre nous sept, parmi des montagnes à perte de vue, sans villages ou remonte-pentes à l’horizon. Je me suis senti dans un autre monde, immense. C’était la vie sauvage que je n’ai connu que dans l’Himalaya », sourit Monique, 58 ans. Cette Vaudoise sportive, familière du ski en peau de phoque depuis une dizaine d’années, se savait techniquement à l’aise dans cette Engadine aux sommets plus modestes qu’en Valais. « Le chef de course nous avait dit que c’était dans nos cordes. Il nous connait bien. » L’endurance représentait un défi pour certains : enchaîner six journées à grimper, et descendre, environ 1000 mètres de dénivelé par jour, soit trois-quatre heures de montée, avec une douzaine de kilos dans le dos.
Paul Schoop, 68 ans, l’organisateur de cette Haute Route, y avait déjà emmené le groupe il y a une année. C’était le début de la crise de la Covid. « Nous étions arrivés le samedi 14 mars à Bivio dans le col du Julier, porte d’entrée de l’Engadine. Le Conseil fédéral venait d’annoncer un confinement strict et les cabanes fermaient. Nous nous sommes promis de revenir. Et cette année, les cabanes sont ouvertes, avec des restrictions d’accueil.
A pied d’œuvre le 2 avril à midi dans les Grisons, les six randonneurs – une majorité de dames et de personnes quinqua et sexagénaires – se sont soigneusement préparés avant de partir le lendemain matin pour six journées sur la Haute Route grisonne qui mène à Zernez, en Basse-Engadine près de la frontière autrichienne. Avec leur mentor Paul Schoop, formateur de métier, diplômé J+S en alpinisme et ski et chef de course à la section Jaman (Vevey) du Club alpin suisse (CAS), ils ont révisé et testé leur matériel technique : Détecteur d’avalanches (DVA), pelle-sonde ; réglage des crampons ; maîtrise des nœuds et de l’encordement ; consignes de sécurité.
Le stress avant de partir
Que ressent-on donc à la veille de partir ? « Beaucoup sont stressés », reconnaît l’organisateur. « Pas tellement par la course en elle-même que pour des soucis annexes : la crainte d’être un boulet pour les autres, un hébergement spartiate en cabane, le sommeil et maux en altitude, une nourriture incompatible avec un régime santé. Je rassure. Je connais les compétences et d’éventuels points faibles des participants. Skis aux pieds, les craintes s’évanouissent. L’ambiance du groupe dope chacun. Et puis, cette Haute Route des Grisons, c’est un terrain de jeu avec plein de variantes pour corser ou atténuer les difficultés. »
Frédérique, 42 ans, craignait de longues montées et des escalades exigeantes, « mais avec Paul, j’avais confiance. Il a de chouettes propositions. Et celle-ci, ma première Haute Route, je voulais la faire cette fois. Les Grisons, c’est de la peau entre 2500 et 3000 mètres. C’est moins sportif, moins technique, que le parcours Chamonix-Zermatt, mille mètres plus haut. » Sûre d’elle, Monique, 58 ans, sportive chevronnée n’avait pas d’arrière-pensées. « J’avais consulté les cartes ; et avec les infos de Paul, j’étais très sereine. J’aurai du plaisir ; sans en baver plus d’une demi-heure dans des montées exigeantes. Et puis, j’avais très envie de découvrir les sommets de l’Engadine, leurs cabanes où passer la nuit. On y a connu des gardiens très sympas. »
Une fois dans ce sanctuaire du ski de randonnée, les deux femmes se sont vite senties dans leur élément. Davantage que l’effort, elles racontent avec ravissement la découverte d’une nature vraiment sauvage, sans villages, poteaux électriques ou installations mécaniques à l’horizon. « Ça donne une impression d’immensité, d’être dans un autre monde, » raconte Monique. Frédérique surenchérit : « Et avec la Covid, il nous est arrivé de ne voir personne sur notre parcours. »
300 mètres à l’heure
Paul Schoop connaît très bien les lieux et « si la météo nous contraint de rattraper le temps perdu, je propose des alternatives adaptées au groupe. J’avais prévu des journées de 800 à 1200 mètres de dénivelé, trois à quatre heures de montées par jour, sans parler des descentes, à la fois plaisantes et physiquement exigeantes. Dans une allure modérée, celle du plus lent. J’observe chacun, donne des conseils simples pour que chacun améliore sa technique et se sente en confiance sur ses skis. »
Quand la montée s’accentuait, le meneur du groupe prenait la tête et faisait la trace. « Je limite au maximum les conversions, ces demi-tours qui deviennent vite acrobatiques dans des faces de plus de 30 degrés et trace la ligne la moins fatigante. Car, avec 10 – 12 kilos dans le dos, le skieur est physiquement moins habile. Paul Schoop veille aussi à faire monter le groupe dans la fluidité. « Quand il y a une conversion à faire, chacun ralentit, prend ses distances avec le skieur devant lui, et on évite ainsi de devoir s’arrêter devant des manœuvres délicates pour certains. C’est fatiguant d’avancer par à‑coups. » A l’entendre parler, on sent qu’il aime ça, donner des trucs techniques et faire découvrir des lieux insolites à ski. Cela fait quarante-cinq ans, sans lassitude, qu’il guide amis et connaissances en montagne, leur faisant découvrir cabanes et sommets.
En peau de phoque avec des skieurs du club alpin, il est crucial de cultiver un esprit de camaraderie et d’entraide. Monique en convient : « En cas de difficultés, une météo devenue mauvaise ou un malaise de l’un de nous, on se serre les coudes. Un individualiste, c’est ch… Je trouve naturel de soutenir quelqu’un en difficulté, discrètement. Quand j’ai senti une femme mal à l’aise, pour la première fois avec des crampons sous ses chaussures, j’ai veillé à la soutenir ; ou stimuler une camarade, tentée d’abandonner, à poursuivre avec nous. En fin de semaine, nous étions tous très contents d’être arrivés ensemble. Un bel esprit de solidarité régnait dans notre groupe. »
N’est-ce pas un trait de caractère des femmes, souvent majoritaires dans des groupes de randonneurs, de jouer l’atout Solidarité ? Il est vrai, qu’en peau de phoque, un homme doute moins de ses capacités qu’une femme, qu’il est donc davantage audacieux et préfère skier avec des personnes de son niveau.
Les skis dans le dos
A voir l’image du groupe, skis dans le dos, l’escalade semble audacieuse. Cette Haute Route ne serait-elle donc pas à la portée d’une skieuse peu expérimentée ? Frédérique assure que non. « Et avec Paul, je me sentais en sécurité. Il avait ainsi taillé des marches dans la neige et installé une corde en main courante du côté montagne. On pouvait la saisir d’une main, et avec un piolet et des crampons dans l’autre, on passait facile. C’est moins compliqué que des conversions dans des pentes très raides. » Paul Schoop acquiesce. « Oui, deux-trois fois, j’ai aidé certains à tourner, en me mettant à côté d’eux sur le versant aval. La descente d’un sommet en crampons, c’est plus délicat car il y a risque de s’encoubler. »
Le chef de course, pragmatique et souple dans son organisation, avait donné liberté à chacun de ne pas escalader des sommets sur leur route. Monique a saisi deux fois l’occasion de s’arrêter « pour profiter une à deux heures d’être dans des lieux magiques. » Et en début d’après-midi, le groupe rejoignait une cabane pour la nuit ; avec de beaux moments sur une terrasse. « Avec la Covid et un accueil limité, on était confortables. On se repose bien, on fait un jeu de cartes ou une partie de baby-foot et… on déguste des gâteaux mit Rahm. » Paul Schoop sourit : « Et l’apéro est toujours bien apprécié ! »
Il goûte cette atmosphère grisonne. « Les groupes, c’est plus facile à caser pour les gardiens, explique-t-il. Je les connais. On s’aime bien. Et ça me fait plaisir de partager mes coups de cœur avec mes équipes. Chacune d’elles, c’est une dynamique relationnelle différente durant la semaine, avec des journées jamais pareilles. »
Les coulisses du reportage
Comme d’habitude dans ses balades en Suisse et autour du monde, Frédérique a pris des photos avec son Smartphone. « On me dit que j’ai l’œil. J’aime bien cadrer, composer et créer une atmosphère avec mes clichés. Le deuxième jour de l’expédition, j’ai eu l’idée d’images de bande dessinée. L’application de mon mobile me permet de les créer à partir des vues enregistrées. »
Chaque après-midi, à l’arrivée en cabane, elle métamorphosait ses photos en vignettes BD, les recadrant pour les insérer dans les propositions de mise en page de son appareil. « Si cela n’avait pas fonctionné, j’aurais vite arrêté, mais les premiers résultats m’ont bluffée. » La Vaudoise avait une idée de scénario pour son récit en images.
Frédérique avait une idée de scénario pour son récit en images. « Comme il me manquait certaines photos pour donner du relief à l’histoire, deux compagnons de route m’en ont transféré quelques-unes de leur appareil. J’ai finalisé mon reportage sur la route du retour et l’ai envoyé aux portables de notre groupe. » Un travail de reporter professionnel. Elle sourit : « Je suis une pomme en informatique ! »