Les aumôniers de l’hôpital lausannois ont été très demandés au plus fort de la crise de la COVID-19. Leur soutien envers les patients en détresse fait la quasi-unanimité des soignants ; le fruit d’une histoire au service de tous, croyants ou non.
Quand les malades du COVID ont soudainement afflué en mars dernier au Centre hospitalier et universitaire du canton de Vaud (CHUV), la Direction des Soins (DSO) a pris des mesures. Seuls les professionnels des soins d’urgence pouvaient désormais franchir les portes de l’hôpital. Priés, comme d’autres soignants, de rester à la maison, la plupart de la vingtaine d’accompagnants spirituels l’ont bien compris.
« Certains se sont sentis exclus de l’hôpital car seuls deux d’entre nous à la fois assuraient un service de garde renforcé. Mais très vite, nous nous sommes rendu compte que nous étions très demandés », raconte François Rouiller, chef du Service de l’Aumônerie au CHUV. « Une dizaine de jours plus tard, nous avons vérifié ce qu’il en était. Notre sondage a vite révélé que c’étaient surtout les patients non-covid qui nous attendaient, privés de visites extérieures, seuls face à leurs questions existentielles. » une semaine plus tard, les accompagnants spirituels étaient réintégrés dans les équipes de soins.
Démarche holistique
La DSO, soutien de poids pour l’Aumônerie, tenait à ce que la spiritualité reste incluse dans le processus de soin au même titre que les dimensions biophysique, psychique et sociale. « Car au CHUV, nous soignons selon une démarche holistique, en prenant chacun en compte globalement, avec ces quatre dimensions », explique Isabelle Lehn, directrice de la DSO.
Cette intégration de la spiritualité à l’hôpital s’est lentement mise en place. Rappelez-vous. Au début des années 1980, nous vivions le drame humanitaire du sida. De nombreux jeunes hommes et femmes révoltés par l’approche de la mort et sans lien avec le monde religieux, attendaient un soutien spirituel. Mais ils ne voulaient entendre parler du secours de la religion. Des infirmières ont contacté des aumôniers protestants ou catholiques, cantonnés dans des missions religieuses au CHUV. Des hommes d’Église se sont alors organisés pour se rendre disponibles auprès de ces patients sans religion.
Grand tournant en 2000
Les années 2000 ont vu se constituer une présence mieux structurée d’aumôniers auprès des personnes hospitalisées. Catholiques et réformés, main dans la main, ils se sont mis à collaborer étroitement avec les soignants. Car la nouvelle constitution vaudoise du début du millénaire le précise dans son article 169 : « L’État tient compte de la dimension spirituelle de la personne humaine. »
« Dès lors, cet accompagnement spirituel des théologiens de l’Aumônerie a exclu tout prosélytisme, toute posture missionnaire de transmission d’un héritage religieux », précise Isabelle Lehn. « Je suis garante du cadre institutionnel qui assure au patient la maîtrise de ses opinions et choix spirituels. » Membre de la direction générale du CHUV, c’est elle qui est responsable du service d’aumônerie, tout en associant les deux Églises protestante et catholique à sa gouvernance. Ces dernières peuvent ainsi recueillir les expériences de terrain des accompagnants spirituels pour faire évoluer leurs cahiers de charge, d’entente avec le CHUV.
Les religions à mi-voix
« Cette relation étroite entre le CHUV et nos deux Églises fonctionne bien. C’est un dialogue exigeant et constructif, » estime Michel Racloz membre de la direction de l’Eglise catholique dans le canton de Vaud et en charge des aumôneries œcuméniques. Il se félicite de l’intégration de l’Aumônerie dans le cadre institutionnel de l’hôpital ; tout en relevant l’importance d’accompagnants spirituels spécifiques pour les personnes croyantes.
« Le spirituel n’a pas à être englobé par la santé dans un cadre trop fermé. L’aumônier doit aussi pouvoir accompagner les demandes religieuses pour elles-mêmes et être signe d’une espérance auprès de personnes déstabilisées par la maladie. » Et le responsable catholique de préciser : « Nous veillons, par exemple, aux attentes communautaires de patients, dont une majorité demeure chrétiens ; c’est important qu’ils puissent bénéficier de célébrations adaptées dans l’enceinte de l’hôpital. »
Des théologiens en difficulté ?
Dans la réalité du terrain, qu’en disent les théologiens chrétiens engagés au CHUV ? S’accommodent-ils d’être ainsi au service d’une spiritualité au sens large ? « Assurément ! Bien qu’il soit arrivé que des accompagnants soient amenés à se remettre en cause, comme partout. Certains ont ainsi renoncé à leur poste », confie le chef de l’Aumônerie, François Rouiller. La religion a‑t-elle alors encore une place à l’hôpital ? « La vie spirituelle n’exclut pas l’expression religieuse ; elle l’englobe. L’accompagnement spirituel, personnel et singulier, reste l’essentiel de notre travail, mais nous proposons aussi des célébrations ou rituels religieux, notamment le dimanche, à celles et ceux pour qui cela est important, même si ces patients sont très peu nombreux aujourd’hui parmi la population hospitalisée. »
Et les spécialistes de la santé psychique, comment perçoivent-ils les accompagnants spirituels, proches de leur domaine de compétence ? « Quelques rares thérapeutes se sont plaints que l’on marche sur leurs plates-bandes », relève Isabelle Lehn. Elle est plutôt enchantée de la collaboration des divers intervenants auprès du patient, accompagnants spirituels compris.
Une méthodologie interdisciplinaire
Concrètement, l’équipe de soins établit, pour chaque patient, un dossier informatisé dans lequel sont consignées les observations des médecins, personnel infirmier et thérapeutes, y compris celles de l’accompagnant spirituel. Ce dernier est tenu d’écrire, de façon très synthétique, l’éventuelle détresse spirituelle du patient rencontré, et ses atouts pour y faire face.
Par l’expérience et leurs connaissances spécifiques, les intervenants de l’Aumônerie ont développé un outil original d’analyse de la spiritualité propre à chaque patient ; une méthode vécue dans l’empathie. Elle prend en compte ses souffrances et ressources personnelles. Elle permet de mieux comprendre la personne hospitalisée et de soutenir les soins les mieux adaptés.
Ce soutien spirituel est-il apprécié des personnes sortant du CHUV ? François Rouiller croit bien rejoindre les attentes des patients. « Nous n’avons pas de sondage sur le degré de satisfaction. Mais les échos de malades et de soignants confirment l’importance de notre travail. A nous de perfectionner nos modes de faire, dans l’interdisciplinarité. »
Aider le patient à se comprendre
« Dès mon arrivée auprès d’un patient, je crée une alliance avec lui, une complicité qui l’amène à se raconter, à exprimer ses révoltes, à se comprendre ». L’accompagnant spirituel Gabriel Dutoit se confie volontiers à nous ; comme ses patients qui se livrent intimement à lui.
Théologien protestant de 47 ans, père de famille, il a roulé sa bosse dans l’Église : auprès des jeunes, dans la communication, l’écoute des personnes. Et depuis bientôt une année, il a choisi de mettre sa spiritualité au service de la société plutôt que dans une communauté réformée. « Je débute dans un nouveau métier, avec une grande expérience pratique de l’écoute, validée par des formations, notamment celle d’accompagnant spirituel dans le milieu de la santé ». Et c’est un gros défi qu’il relève au CHUV. « Je suis en poste à l’hôpital psychiatrique de Cery ainsi qu’en dermatologie et chirurgie septique (amputations, prothèses) ; des patients qui peuvent en être affectés dans leurs croyances, leur identité, leurs valeurs. »
Je suis athée
Avant de passer dans les chambres des malades, Gabriel Dutoit s’est entretenu avec le personnel infirmier. On lui indique quels malades semblent avoir besoin de le rencontrer en priorité et il reçoit quelques indications sur leur état de santé.
Comment se présente-t-il auprès d’eux ? « Je précise d’emblée que je suis à l’écoute personnelle, et sans conditions, de chacun, quelle que soit ses convictions. Et quand on me dit : Je suis athée, ou qu’on me raconte des expériences religieuses négatives, je dis tout de suite mon respect de me confier ainsi des convictions intimes. » Il mène alors une écoute approfondie qui peut prendre environ trois-quarts d’heure « Avant de partir, je résume notre entretien, ce qui souvent aidera mes interlocuteurs à poursuivre la réflexion, seul ou avec moi. »
En entrant dans la chambre de Georges Baud pour nous le présenter, Gabriel Dutoit retrouve un homme qui a cru son dernier jour arrivé. Ce dernier nous confie que sa révolte s’est apaisée. Se disant libre-penseur d’origine réformée, ancien ingénieur EPFL de 72 ans qui a bourlingué dans le monde entier se demande maintenant pourquoi avoir été si près de partir pour de bon. « Le Proverbe ne dit-il pas, quand tu marcheras, Il te guidera… », se souvient-il. Au terme de la rencontre, l’accompagnant spirituel transcrit quelques notes dans la fiche établie pour chaque patient.
« C’est une discipline à acquérir, ces brèves synthèses. Elles me sont utiles quand je reviens vers le patient. Elles donnent un éclairage utile aux médecins, infirmières et thérapeutes pour la suite des soins. » Le sourire naturel de Gabriel Dutoit, son professionnalisme, ont vite séduit le monde de l’hôpital lausannois.